Je suis un islamo-gauchiste, comprenez par là : un républicain, humaniste, socialiste, laïc, dépeint sous des traits fantasmagoriques. Qu’est ce qu’un républicain ? Un partisan d’un état basé sur la représentation où le pouvoir n’est pas héréditaire. Qu’est ce qu’un humaniste ? Une personne qui refuse de juger les individus par paquet et par groupe, qui insiste sur le droit aux identités individuelles et sur la responsabilité juridique individuelle. Qu’est ce qu’un socialiste ? Un partisan d’une économie qui privilégie l’intérêt collectif lorsqu’il y a confrontation avec des intérêts privés. Qu’est ce qu’un laïc ? Une personne qui considère que la liberté de culte ou de non culte, prévaut sur les religions d’État et l’interdiction de culte. Feinter de se revendiquer islamo gauchiste est évidemment devenue une provocation pour démystifier la diabolisation en cours contre la gauche. Et si un tel profil est diabolisé par la droite après une campagne de longue halène initiée par l’extrême droite, c’est justement parce qu’il va à l’encontre de toutes les aspirations de cette dernière : qui se caractérise souvent par son individualisme, ses mesures antisociales, son anti parlementarisme et son désir, du moins en France, d’une prédominance du christianisme.
Comme beaucoup d’autres français (de gauche comme de droite) je combat les identitaires avoisinants mes combats. Aucun groupe politique n’échappe à la problématique des revendications identitaires et il est d’ailleurs étonnant de voir traiter actuellement le sujet du racisme et de l’invasion religieuse sans traiter à la fois d’islamisme et : des ultra catholiques, des partisans de la race blanche et des monarchistes… Pourtant il s’agit bien des mêmes problématiques, qui effectivement vont à l’encontre des valeurs de notre République, aussi imparfaite soit-elle.
Je ne suis pas non plus des quelques uns qui s’aveuglent. Il pourrait y avoir à dire sur ce sujet mal présenté et falsifié derrière le qualificatif de “islamo gauchisme”, si nous ne traitions pas du sujet par la rumeur tout en pointant du doigt des masses hétérogènes. Il est étonnant d’entendre que par peur d’une censure produite par l'”islamo gauchiste” on glisse vers la suspicions et demande de fichage des recherches sociologiques et historiques. Je suis surpris que de ce terme qui devait à l’origine désigner une collusion entre la gauche et un islam politique, on arrive à y ajouter sur les plateaux de télévision, une critique du féminisme, de l’anticolonialisme et de l’antiracisme.

Les récentes spéculations portées par la trinité LREM-RN-LR, reposent sur un ” je l’ai vu”. Pourtant leurs intervenants ne donnent que très rarement des noms de thèses, d’accusés, de date ou de quantification. Omissions surprenantes pour des personnes se revendiquant témoins.
Du côté des universitaires partisans de cette campagne : il y a heureusement un peu plus de matière. Olivier Vial, en lien avec le milieu universitaire et directeur du CERU, indique au Figaro: “l’islamo gauchisme est une réalité depuis 20 ans“. Mais pour porter cette affirmation, l’universitaire n’hésite pas à malmener l’histoire : “Dès le milieu des années 90, une partie de l’extrême gauche trotskiste très présente dans les universités va ainsi commencer à théoriser la nécessité de se rapprocher des mouvements islamistes”. De quoi parle t’il ? Du regroupement de militants de gauche et de militants de mouvements islamistes dans des manifestations françaises contre la colonisation israélienne. Mais qui sont ces “trotskystes ? Sont-ils trotskystes ? Combien sont-ils ? Nul ne le sait… Et cette omission est pratique pour confondre des manifestations portant sur l’anticolonialisme, avec une adhésion à l’islamisme. D’autant que le trotskysme est incompatible avec l’islamisme, qui rappelons le, consiste à établir un islam politique. Il s’agit en fait d’une mauvaise habitude qui traverse la société : partir d’une manifestation avec un thème ciblé pour confondre les participants sur des thèmes qui n’étaient pas l’objet de l’évènement. La France Insoumise en est victime depuis quelques années à travers le soutien aux luttes contre le racisme anti musulman, mais ce type de confusionnisme a d’abord visé le PCF, LO, le NPA, le PS et le PG.
Des partis trotskystes dans les années 1990, pourtant il y en avait. En premier lieu Lutte Ouvrière. Et accuser ces trotskystes de collusion est une double peine puisque justement LO fut critiquée pour avoir refusé le port du voile dans certaines de ses réunions. Le parti a depuis renoncé à cette position, suite aux injonctions non pas à se soumettre à l’islamo gauchisme, mais à respecter la laïcité (qui repose sur la liberté de culte). Nous avons donc là des individus intervenant dans le débat public par leurs titres, tel que Monsieur Vial, qui pratiquent cependant des raccourcis et des confusions propres aux divers sites et partis d’extrême droite spécialisés dans la diabolisation des partis de gauche et d’extrême gauche.
Mais n’est-ce pas aussi reproduire de la confusion et du fantasme que d’affirmer que ces accusations d’islamo gauchism servirait à diaboliser les socialistes ? Non. Olivier Vial est certes universitaire, mais il est aussi membre du parti politique Les Républicain et président du syndicat de droite l’Union Nationale Inter-universitaire. Cette structure fut crée dans les bureaux du responsable coloniale Jacques Focart et fut proche du très répressif et corrompu Charles Pasqua. On peut donc au regard du recours à la désinformation par Vial, et de sa filiation politique, dire qu’il combat davantage les recherches sur les crimes coloniaux et les répressions racistes qu’une gangrène islamiste dans les universités. Malgré ce pédigrée, il est l’homme-témoin utilisé pour démentir la majorité d’universitaires refusant la polémique actuelle.

Pour autant il indique quelques éléments problématiques et bien réels, telle que l’invitation envoyée en 2017 à l’identitaire Houria Bouteldja (dénoncée aussi par Libération) pour intervenir dans la faculté de Limoges. Mais aussitôt dit, Monsieur Vial embraye sur une autre fausse information : un salarié d’un laboratoire de recherche local aurait été viré pour avoir critiqué le projet de conférence de la fondatrice des Indigènes de la République. Selon lui ce serait la preuve de la présence d’un islamo gauchisme. Mais quelle preuve contestable. Le Figaro publie les propos d’Olivier Vial sans même vérifier le contenu de ses affirmations. Problème : le laboratoire en question a depuis démenti cette information et plus encore, Madame Bouteldja n’a même pas pu réaliser sa conférence puisque l’invitation a été annulée suite à la levé de bouclier. Autre désinformation, le chercheur Stéphane Dorin n’a pas été limogé par le laboratoire GRESCO mais a simplement vu le refus d’une demande de mutation. Aujourd’hui encore il possède une page active sur le site de l’université de Limoges comprenant son contact et ses publications. Drôle de censure… Les faits démentent un discours basé sur une propagande mensongère. Mais la rumeur continue de circuler si bien qu’en 2021 Le Figaro les assimile comme des vérités et le satellite LR les amplifie.
Nous pourrions ainsi démonter tout un tas de faux exemples et comprendre que la polémique actuelle tient plus de la conversation de comptoir que du débat parlementaire. Et si l’on aime en ces temps, brandir des risques : cette attitude ne constituerait-elle pas une menace pour le rationalisme ? Débattre au plus haut sommet de l’État à partir de rumeurs, de fake news et de généralisations.

Si nous prenons le temps d’inspecter le sujet d’un radicalisme identitaire dans les facultés, comprenant des réunions sectaires et des oppression de la parole : oui en effet cela existe. De gauche, nous les soit disant islamo-gauchistes, avons réagi et contredis les réunions non mixtes, les fanatismes et les sectarismes. Qu’une lutte s’initie sur une injustice ou non, qu’elle soit légitime ou non, il faut refuser de lutter contre des injustices par davantage d’injustice, ou de lutter contre les discriminations par d’autres discriminations. Parce que cela n’est pas efficace et parce que cela revient à se conditionner aux méthodes et à l’esprit de son agresseur ou de l’agresseur de ses ainés. Cette position peut certes valoir quelques conflits oraux entre militants de gauche, mais à travers mes dix années de militantisme ces divergences furent ultra minoritaires, et surtout aucun de mes détracteurs, ayant simplement peur d’un cheval de troie visant l’antiracisme, n’a cautionné ni encouragé un islam politique. Il est aberrant de voir un tel fantasme s’agiter. Ces soit disant collusions identitaires, ou timidités d’une gauche contre les sectarismes ne sont rien d’autres qu’une conscience, que des individus exposant le sujet avec manipulation, utilisent une confusion pour solliciter l’interdiction des luttes contre des émanations coloniales, raciales ou dominatrices.
Apportons aussi des nuances : l’usage de méthodes controversées ne suffit pas à être “séparatiste” , ni “anti blanc”, ni “anti homme”, ni “islamiste”. C’est pourquoi il faut nommer les concernés pour leur permettre de s’expliquer : passif de réunions perturbées conditionnant à limiter l’accès, provocations volontaires pour engendrer le débat etc, sont des méthodes que je refuse mais pour lesquelles je ne diaboliserai pas les militants les employant. Parce qu’entre une réunion non mixte d’une association étudiante cherchant à s’organiser et une réunion non mixte de la NOI oú l’on hurle que les blancs sont des sheitans à combattre, il y a un gouffre considérable. La première se défend, la seconde agresse. La première est dans les universités, la seconde en est exclue. Combien de ces soit disant républicains qui agitent le terme d’islamo gauchisme, savent même que la Nation Of Islam existe ? Ils n’en parlent même pas dans leurs tribunes. C’est la gauche qui a combattu ce genre d’identitaires rendus aujourd’hui presque invisibles.
Mais quand nous levons nos boucliers contre ce genre de dérive , nous sommes dans des oppositions invisibles aux yeux d’une majorité de français et du débat public, puisque ces tendances apparaissent dans la marge, en minorité au sein de minorités. Et c’est là la faute du procès contre la gauche : accuser pèle mêle des politiciens et des militants de ne pas avoir réagi à ce qu’ils on pourtant soit combattu, soit pas rencontré. Car on peut faire sa vie de socialiste sans croiser ces groupuscules, qui d’ailleurs, sont souvent en rejet de la gauche. Ce qui leur fait un point commun avec les identitaires catholiques et les identitaires blancs agitant le terme d’islamo gauchisme.
Si l’on peut voir des tribunes d’universitaire plus que partiales et contestables, ceux là au moins ciblent des actualités et nous permettent de réagir sur des éléments factuels. En revanche, quand on se tourne du côté du monde politique, la diabolisation islamo gauchiste devient lunaire. Il n’y a presque aucun élément factuel avancé lors des discours. Frédéric Vidal incarne parfaitement ce néant pratiquant la chasse aux sorcières. Dans son intervention à Cnews à la mi février, la ministre se contente d’un “Il y a des gens qui peuvent utiliser leur titre et leur aura pour propager les idées radicales de l’islamo gauchisme” le dossier est si fourni qu’aucun nom n’est cité : “il y a”, le discours se déploie comme une fable et se termine sur un appel à ficher les recherches sociologiques et historiques.

Alors puisque ces personnes ne semblent pas si intéressées par la lutte contre les dérives haineuses, c’est à nouveau la soit disante mouvance islamo gauchiste qui va s’y confronter. Il y a des groupuscules à combattre que l’on résume grossièrement par indigénistes, tels que les émanations du PIR, les racistes de la Nation Of Islam, les identitaires du Mouvement des Damnés de l’impérialisme, Générations Identitaires, La Ligue de Défense Juive, la Ligue de Défense Noire Africaine… Mais comme la gauche est pour la défense des droits des musulmans, comme de tout autre culte et non culte, anticolonialiste et féministe, elle n’a pas besoin de manipuler ces sujets pour dénoncer des dérives. Parce que son but n’est pas de mélanger les situations pour furtivement, interdire des luttes antiracistes. La position tenable consiste à refuser les expressions haineuses et non pas à interdire des émancipations ou des champs de recherche.
Ces dérives, on peut d’ailleurs les classer davantage du côté rouge-brun que du côté de la gauche, puisque la logique identitaire même indigéniste, jusqu’à preuve du contraire, est l’opposée du socialisme. Rappelons que lorsque les Damnés de l’impérialisme portés par Kémi Séba, manifestaient en France, ils s’organisaient aux cotés des identitaires blancs que sont la Droite Socialiste. Ils ne manifestaient pas aux cotés du PG, du PCF, de LO, du NPA ou de la LFI qu’ils détestent. Et si ils sont aujourd’hui plus clandestins, avec leur leader exilé au Sénégal, c’est parce que la gauche antiraciste et anticoloniale a là encore, démasqué et combattu ce groupuscule.