Depuis une vingtaine d’année des responsables des services de renseignement du monde entier indiquent aux gouvernements que la seule approche sécuritaire ne permet pas de lutter contre le terrorisme et qu’au contraire elle peut le renforcer. Cette analyse émerge depuis la seconde guerre d’Irak où les dégâts humains et matériels ont permis d’alimenter les propagandes djihadistes.
Des économistes se sont ajoutés aux débats, notamment Serge Michaïlof qui fut interviewé dans la version précédente du site. Ancien directeur exécutif de la Banque Mondiale pour l’AFD, devenu chercheur à L’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), il publiait en 2015 l’ouvrage “Africanistan” qui s’appuie sur les erreurs réalisées au Moyen Orient, afin de proposer des solutions pour le Sahel.
De l’antiterrorisme à certains économistes, une conclusion fait donc sens : pour lutter contre les radicalisations armées il faut assécher son vivier de recrutement et donc tuer le désespoir qui mobilise les extrémistes. Cela consiste à développer les régions pauvres, à augmenter la qualité des éducations, à fournir des emplois et à respecter l’intégrité des individus donc leur liberté de culte. Bien évidemment, sans pour autant relâcher les sanctions contre des crimes avérés et les appels à la haine : il s’agit de chantiers complémentaires.
Malgré cette nécessité, largement comprise par la gauche qui se retrouve alors accusée d’islamo gauchisme (terme antinomique) quand elle tente de rassembler contre les extrêmes : la Une de nombreux médias fait pérorer des politiciens qui semblent n’avoir jamais lu un rapport sur la radicalisation au regard de leur capacité à la nourrir. Lorsqu’est jetée de l’huile sur le feu pour faire du clientélisme à l’attention des électeurs en colère, on alimente la propagande djihadiste qui repose justement sur l’impossibilité qui existerait pour les musulmans, de vivre en paix en Occident. Le sentiment d’insécurité mène sur la défensive et enclenche des actions violentes. Ce dernier propos est un point majeur inclue dans le rapport de la DGSE de 2017-2018, Comprendre l’après Daesh, chapitre 4 La campagne d’Europe de Daesh au coeur de sa dynamique mondiale : “L’objectif de Daech en Europe est double : prouver qu’une coexistence avec les « infidèles » est impossible (la France et l’Allemagne étant particulièrement visées, l’une pour accueillir les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe, l’autre pour sa généreuse politique envers les réfugiés) et encourager de ce fait les « montées au djihad » à partir de l’Europe.”
Assécher le vivier terroriste est donc une contre mesure vitale pour lutter contre les attentats, mais des partis comme LREM LR et le RN, organisent des convois de ravitaillement pour les discours salafistes en refusant de dissocier la solidarité envers la communauté musulmane, de l’opposition au terrorisme et à l’islam politique. Au lieu de participer à la lutte contre la radicalisation, ils courent dans la direction voulue par les organisations djihadistes : augmenter les propos et actions confuses et arbitraires contre des musulmans pour les contraindre à se sentir en danger et donc à frapper. Si bien qu’ils ont réussi à criminaliser la solidarité interconfessionnelle en appelant cela “islamo gauchisme”.
D’après les éléments de l’enquête concernant l’attentat contre Samuel Paty ce n’est pas seulement la diffusion des caricatures qui a motivé l’acte ignoble : mais les mensonges du père de famille qui a réussi à le convaincre que l’enseignant fichait et excluait les enfants musulmans. On constate donc que cette radicalité se nourrit bel et bien des persécutions, même celles inventées. Alors est-il si républicain d’accuser la gauche qui dissocie la communauté musulmane des éléments extrémistes, de faire la part belle à l’islam politique ? Ne serait-ce pas plutôt un travail de pacification qui est organisé lorsque la main est tendue vers les modérés et contre toute forme de racisme ?
On remarque aussi un déni de la majorité quand des élus de la France Insoumise accusent le gouvernement de contribuer à l’Islam politique en s’associant et en fournissant des armes à des États théocratiques comme l’Arabie Saoudite. Là encore, ce n’est pas qu’une vue de l’esprit de la gauche mais un bilan issu d’un ancien directeur de la DGSE : Alain Chouet qui affirmait en 2015 auprès du journal l’Humanité : “Nous sommes alliés avec ceux qui sponsorisent depuis trente ans le phénomène djihadiste”.
Pendant que ce travail est réalisé à gauche, la majorité présidentielle à travers ses ministres et préfets, vient de faire fermer la mosquée de Pantin. Il n’y avait pourtant qu’un seul coupable : un imam radical ayant relayé la vidéo haineuse contre Samuel Paty. Plusieurs fidèles de la mosquée le considèrent d’ailleurs fautif, comme le rapporte Europe 1. Mais l’autorité publique a décidé de sanctionner les milliers de musulmans bénéficiant de cette mosquée à un moment crucial où il faut justement faire preuve de vivre ensemble et de pédagogie. Il n’y a pas besoin de travailler à la DGSE pour apercevoir que cette action partiale qui punit collectivement pour une faute individuelle, peut renforcer les élans de colère. Sans oublier que la fermeture de la mosquée ouvre une autoroute à des imams radicaux qui ne pourront être surveillés car ils opéreront directement auprès des familles, n’ayant plus de lieu de culte. Là encore la droite donne des armes aux salafistes et fait fi des recommandations publiées par des professionnels de la sécurité. Pour Mario Giro, sous –secrétaire aux Affaires Étrangères du gouvernement Renzi en 2015 : “jouer les méchants, c’est faire le jeu de l’Etat Islamique”.
Du côté du Rassemblement National, la situation est encore plus caricaturale avec les comptes de plusieurs élus qui pullulent d’appel à la haine et de racisme décomplexé. Il semblerait que la boutique du patriarche Le Pen soit toujours active malgré le changement de vitrine.
Fabrice Thiry, conseiller municipal RN à Juvignac a lancé un appel à la haine contre la famille Traoré à la suite de son intervention dans les médias. Pourtant le collectif publiait le 18 octobre :
La publication de l’élu a reçu le succès qu’elle attendait et comprend plusieurs appels aux meurtres que M. Thiry n’a toujours pas modéré ce 23 octobre. Des propos criminels qui là encore, renforcent la propagande de Daesh en présentant un paysage politique qui non content de vouloir exclure la différence, voudrait aussi l’assassiner.
Le terrorisme se nourrit des persécutions. Aussi celui qui défend un croyant n’adhère pas à la religion de ce dernier. Celui qui défend un croyant adhère à la République qui a acté de la liberté de culte et fait donc œuvre anti-terroriste en démentant les propagandes salafistes qui voudraient que l’Occident attaque les musulmans. Et celui qui voudrait acculer les musulmans, en se prétendant républicain, celui–là donne finalement des armes aux prédicateurs salafistes.
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– Site officiel d’Alain Chouet, ancien directeur de la DGSE : http://alain.chouet.free.fr/accueil_publications.htm
– Interview d’Alain Chouet au journal l’Humanité : https://www.humanite.fr/alain-chouet-nous-sommes-allies-avec-ceux-qui-sponsorisent-depuis-trente-ans-le-phenomene-djihadiste
– Africanistan, analyse du phénomène djihadiste par Serge Michaïlof : https://www.youtube.com/watch?v=pTcBCro8UmY
– Fermeture de la mosquée de Pantin, Europe 1 : https://www.europe1.fr/societe/mosquee-de-pantin-derniere-priere-avant-la-fermeture-pour-les-fideles-4000345
– Interview de Mario Giro, Slate : http://www.slate.fr/story/111049/italie-daech-assecher-lac-djihadiste