La tentation de placer l’écologie au dessus des luttes politiques est compréhensible. Elle repose sur le constat que nous sommes tous vulnérables aux changements climatiques et avons tous un intérêt dans la préservation de l’environnement. Mais l’écologie n’est pas simplement une croyance universelle, un but commun. C’est une action politique et tout les courants ne s’autorisent pas les mêmes outils. Hors vivre dans une société écologique interroge bien plus le cadre législatif et les moyens que les intentions.
Vert, mais chez moi :
Il semble que l’on trouve les individus les plus écologistes au sein de certains mouvements anarchistes. Se retirer de la vie citadine, ne dépendre que de ce que l’on produit est un moyen d’avoir un impact positif sur son environnement. Mais la protection de ce dernier implique l’action de tous. Quand un fermier anarchiste vit en campagne dans une logique eco responsable il subira tout de même les conséquences radioactives d’un incident nucléaire, il subira les marées noires, il subira les particules fines des véhicules automobiles, il subira le plastique, il subira les changements climatiques. L’indépendance en écologie est un choix non néfaste mais qui n’a que peu d’impacts sur l’écologie mondiale.
Vert, mais par loterie :
Le capitalisme vert dans un contexte de légalisation de la pollution excessive est un outil intéressant. Tant que les systèmes économiques autorisent globalement tout investissement, il est préférable de voir des investissements dans des énergies renouvelables que dans des centrale à charbon. C’est un peu comme les élections : on se contente du moins pire. Mais tout comme la logique anarchiste, les choix de certains investisseurs n’interdisent pas d’autres choix plus polluants. Le néo libéralisme nous prouve chaque jour être une voie sans issue pour la problématique qui nous intéresse.
Pour assurer la pérennité de l’environnement il faut déjà admettre la nécessité de pouvoir contrôler les législations impactant chaque individu. Il y a donc bien des choix à faire en terme de système économique et politique.
Quel est l’outil politique le plus à même de servir l’écologie à une échelle mondiale ?
Répondre à cette question sans avoir recours à l’économie planifiée me parait irréaliste. Elle s’oppose justement à l’économie de marché. Ceci dit elle n’est pas un gage de sécurité si elle ne s’impose pas certains dogmes. Une économie planifiée qui viserait la progression immodérée du confort et des loisirs des populations serait assurément égalitaire mais terriblement plus polluante que l’actuel capitalisme qui endigue un minimum la pollution en conservant cyniquement des immensités humaines dans la pauvreté.
« L’économie planifiée s’autorise les outils permettant de répondre aux impératifs écologiques, puisqu’elle considère que les intérêts privés ne passent pas au dessus de l’intérêt général. »
Que les indiens ne puissent se doter d’une voiture par foyer est relatif au capitalisme. Si le même état devenait socialiste et permettait à chacun de se doter d’une voiture à énergie fossile, ce serait une catastrophe écologique. Ceci tend à confirmer que l’économie planifiée ne se suffirait pas. Il lui faut des objectifs écologistes. Mais la différence vis à vis d’autres courants, est que cette doctrine s’autorise les outils permettant de répondre aux impératifs écologiques, puisqu’elle considère que les intérêts privés ne passent pas au dessus de l’intérêt général.
L’impasse actuelle se situe dans la division des nations et leur concurrence. Dans le système néolibérale, un État occidental refusera d’appliquer des normes strictes contre la pollution au motif que ces normes rendront son économie moins concurrentielle.
Les pays émergents s’interdisent de telles normes au motif que d’autres pays ont déjà profité de développement industrielles et sociaux forts sans se modérer, et qu’il n’y a donc pas de légitimité à encadrer son économie, sans mise à égalité avec l’état de développement des autres pays. L’écologie ne peut pas être la conservation du confort des pays riches et le maintien dans la pauvreté pour les autres.
« Il reste donc une solution, un gros mot qui prête à tout les fantasmes : il faut un Ordre Mondial. »
On voit bien que la logique des nations aux législations économiques divergentes empêche d’atteindre des solutions. Puisqu’il faut en partie une décroissance ici et un développement vert là bas. Il reste donc une solution, un gros mot qui prête à tout les fantasmes : il faut un Ordre Mondial. L’actuel projet mondial porte très mal son nom. Car il est libertarien plus qu’il n’est ordonné. Le concert des nations ne s’entend que sur une seule chose : chacun doit pouvoir pratiquer l’économie de marché et investir là où il le souhaite. C’est à dire : les grands capitalistes doivent autant que faire se peu, avoir les mains libres. Hors un Ordre Mondial devrait impliquer la mise en place d’outils qui détruiraient les concurrences entre nation afin de permettre la définition d’une législation internationale, qui à côté de la préservation des diversités culturelles, serait à même de s’offrir le cadre économique permettant la préservation de l’écologie et des peuples.
Cette réponse à l’urgence climatique est interdite des débats publics, elle est l’ennemi jurée de ce que nous appelons ici et là le Nouvel Ordre Mondial. Elle fait peur et la complexité de sa mise en œuvre dissuade d’en prendre le chemin. On peut d’ailleurs comprendre les intentions qui refusent ce choix politique : on préfère généralement pouvoir devenir très riche, avoir autant d’enfants que l’on veut, avoir autant de biens que l’on veut. De manière générale : on veut faire tout ce que l’on désir. Mais l’écologie est un besoin. Il faut bien avoir ceci en tête. On ne peut pas conduire sa voiture à énergie fossile dans un monde sans récolte, on ne peut pas partir en vacances dans un monde sans air respirable, on ne peut pas jouir de sa richesse et de sa liberté dans un monde à l’agonie. Aussi, avant de nous positionner dans des détails politiques, chacun devrait au moins se poser une question primordiale : existe t-il une assurance plus grande que l’économie planifiée à échelle mondiale, pour faire de l’écologie ? Si la réponse est non et qu’il n’y a pas d’alternative fiable, il faudra bien s’attaquer à la complexité d’une définition et de la mise mise en œuvre de cette économie planifiée moderne. Réfléchir les étapes de concertation, penser les gardes fous pour ne pas s’effondrer devant les anticipations multiples et salutaires de la science-fiction, permettre de prendre des responsabilités et de s’investir, avoir des libertés fondamentales mais le tout dans une matrice qui n’est pas celle de l’économie de marché et du capitalisme, une matrice qui sait imposer des limites et un intérêt commun : quand des chercheurs des quatre coins du monde indiquent qu’un seuil de production ou un type de production n’est pas viable avec les technologies actuelles, il faut définir des lois internationales pour rester dans la zone verte sans avoir de considération concurrentielle et sans se plier à la dictature des désirs. Une telle politique s’appelle l’économie planifiée et implique l’unification sous un seul Etat.
(Ce texte est susceptible d’évoluer en fonction des échanges. Il est écrit suite à la question transmise par Frédéric Dufoing, journaliste à l’Inactuelle, lui même interrogé par le journal Marianne : « l’écologie est-elle de gauche ou de droite ? »)